
Interview réalisée par la HES de CHANGINS.
Originaire du sud de l’Italie, j’ai grandi dans un petit village au bord de la mer entouré de vignes et d’oliviers. Passionnée par la montagne autant que par la vigne, j’ai posé mes valises en Suisse il y a huit ans pour poursuivre mes études avec un Master en viticulture et œnologie en anglais. À mon arrivée à Changins, j’ai découvert une formation orientée vers la pratique, où la recherche appliquée occupe une place centrale. Cette immersion m’a ouvert les portes du monde scientifique et m’a convaincue que c’était là le chemin idéal pour assouvir ma curiosité. Après le Master et quelques années d’expérience comme assistante de recherche, j’ai entrepris un doctorat à Changins, co-supervisé par les professeurs Sven Bacher (Université de Fribourg) et Thierry Heger (HES Changins).
Mon doctorat s’inscrit dans le cadre du projet Yvorne Grandeur Nature (www.ygn.ch), une initiative née d’un collectif de vigneronnes et vignerons, visant à renforcer la durabilité de la viticulture dans la région. Comme ailleurs, Yvorne doit s’adapter aux effets du changement climatique, et les épisodes de sécheresse représentent une menace directe. Pour anticiper ces évolutions et déterminer dans quelles conditions la vigne pourra encore se développer dans quelques décennies, le projet DRY50 (« Drought Research at Yvorne ») a vu le jour.
Depuis le printemps 2024, quatre grands tunnels maraîchers ont été installés dans le vignoble d’Yvorne pour simuler différentes conditions hydriques. Trois scénarios sont testés :
Ce projet, unique en Suisse, se distingue par son approche multidisciplinaire.
Il ne s’agit pas seulement d’étudier la vigne dans des conditions contrôlées, mais d’analyser l’ensemble de son écosystème : microbiome du sol, enherbement, vigne, raisin, vin ; sans oublier les interactions complexes qui relient ces composantes.
Serena Fantasia
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L’année 2024 a été riche en observations, et les premiers constats sont frappants. Dans les parcelles bénéficiant d’un apport en eau similaire aux précipitations moyennes des vingt dernières années, la vigne et l’enherbement restent verts jusqu’aux vendanges. En revanche, sous un stress hydrique plus marqué, l’herbe entre les rangs jaunit, le feuillage de la vigne se réduit considérablement, et la quantité ainsi que la qualité des raisins diminuent. Ces tendances seront analysées de manière détaillée au cours des deux prochaines années de l’étude, mais donnent déjà un aperçu clair des enjeux. Cet automne, la première dégustation des vins issus de ces différentes conditions aura lieu. Objectif : évaluer l’impact du manque d’eau sur la qualité et les arômes des vins.
Ce projet bénéficie de la collaboration de nombreux acteurs, associant professionnels du terrain et institutions académiques telles que l’Agroscope et l’Université de Fribourg. Le viticulteur Marco Mayencourt s’est particulièrement impliqué dans le projet en nous mettant son terrain et des infrastructures à disposition. Nous bénéficions également du soutien financier de la Fondation Hoffmann et de l’agence Innosuisse, ainsi que de l’engagement de nombreux collègues de Changins.
Au-delà de la communauté scientifique, cette expérience apportera des informations précieuses aux professionnels de la viticulture et au grand public. Plusieurs visites et événements de vulgarisation ont déjà permis à des acteurs de la branche, à des écoles et à des visiteurs curieux de découvrir le dispositif et ses enjeux. Ces connaissances alimenteront également les programmes pédagogiques de Changins afin de préparer les futures générations d’œnologues aux défis climatiques.